vendredi 18 janvier 2013

La Curée, spéculateurs des travaux d'Haussmnn

La Curée (1871)

« - Vous avez fait des miracles, dit Saccard. Paris est devenu la capitale du monde.
- Oui, c'est vraiment prodigieux, interrompit M. Hupel de la Noue. Imaginez-vous que moi, qui suis un vieux Parisien, je ne reconnais plus mon Paris. Hier, je me suis perdu pour aller de l'Hôtel de Ville au Luxembourg. C'est prodigieux, prodigieux !
[…]
- La transformation de Paris, continua M. Toutin-Laroche, sera la gloire du règne. […] bouleverser Paris, c'est le fertiliser.
- L'administration, dit-il, a rencontré tant de dévouement ! Tout le monde a voulu contribuer à la grande œuvre. Sans les riches compagnies qui lui sont venues en aide, la Ville n'aurait jamais pu faire si bien ni si vite.
[…]
- Les travaux de Paris, dit-il, ont fait vivre l'ouvrier.
[…]
-[...] les nouvelles voies sont majestueuses, ajouta M. Hupel de la Noue,...»
La Curée, p.48-50

Les transformations de Paris sous le Second Empire ou travaux haussmanniens constituent une modernisation d'ensemble de la capitale française menée à bien de 1852 à 1870 par Napoléon III et le préfet Haussmann.
Le projet a couvert tous les domaines de l'urbanisme, aussi bien au cœur de Paris que dans ses quartiers extérieurs : rues et boulevards, réglementation des façades, espaces verts, mobilier urbain, égouts et réseaux d'adduction d'eau, équipements et monuments publics.
Violemment critiquée par certains de ses contemporains, oubliée pendant une partie du XXe siècle puis réhabilitée par le discrédit de l'urbanisme d'après-guerre, cette œuvre conditionne toujours l'usage quotidien de la ville par ses habitants. Elle a posé le fondement de la représentation populaire de la capitale française à travers le monde en superposant au vieux Paris et à ses ruelles pittoresques un Paris moderne fait de grands boulevards et de places dégagées.
©Wikipédia, travaux d'Haussmann.

          La Curée, second roman du cycle des Rougon-Macquart, il prend place au temps des travaux d'Haussmann à Paris. Aristide Rougon, un provencial, déménage à Paris avec sa femme, Angèle, et leur fille.
Ce roman nous invite à connaître la spéculation de Saccard, Aristide Rougon de son vrai nom, grâce aux travaux de rénovation du baron Haussmann. L'extrait précédemment cité se place dans la première partie du roman zolien, lors de la réception chez les Saccard. Ce passage annonce le ton de l'haussmannisation.

         Saccard vient d'arriver à Paris et va voir son frère, Eugène, espèrant obtenir un travail. Mais, pour plus de sûreté dans les affaires, Aristide doit changer de nom.
« - Il y a de l'argent dans ce nom là ; on dirait que l'on compte les pièces de cent sous.
- Oui un nom à aller au bagne ou à gagner des millions. »
La Curée, p.75
           Le nom de "Saccard" évoque la spéculation autour des travaux de rénovation de la ville, mêlant l'illégalité de la spéculation ainsi que le futur enrichissement d'Aristide.
 























          Le passage qui suit se place au moment d'un dîner entre Saccard et feu Angèle, sa première femme. S'oubliant à cause du bourgogne, le premier va dévoiler ses plans de spéculations ainsi que ceux des travaux à son épouse.
 « Ses fonctions lui avaient appris ce qu'on peut voler dans l'achat et le vente des immeubles et des terrains. Il était au courant de toutes les escroqueries classiques : il savait comment on revend pour un million ce qui a coûté cent mille francs ; comment on paie le droit de crocheter les caisses de l'Etat, qui sourit et ferme les yeux ; comment, en faisant passer un boulevard sur le ventre d'un vieux quartier, on jongle, aux applaudissements de toutes les dupes, avec les maisons à six étages. Et ce qui, à cette heure encore trouble, lorsque le chancre n'en était qu'à la période d'incubation, faisait de lui un terrible joueur, c'était qu'il en devinait plus long que ses chefs eux-mêmes sur l'avenir de moellons et de plâtre qui était réservé à Paris. Il avait tant fureté, réuni tant d'indices, qu'il aurait pu prophétiser le spectacle qu'offrirait les nouveaux quartiers en 1870. dans les rues, parfois, il regardait certaines maisons d'un air singulier, comme des connaissances dont le sort, connu de lui seul, le touchait profondément.
[…]
- C'est la colonne Vendôme, n'est-ce pas, qui brille là-bas ?... Ici, plus à droite, voilà la Madeleine... Un beau quartier, où il y a beaucoup à faire... Ah ! Cette fois, tout va brûler ! Vois-tu ?... On dirait que le quartier bout dans l'alambic de quelque chimiste.
[…]
- […] plus d'un quartier va fondre, et il restera de l'or aux doigts des gens qui chaufferont et remueront la cuve. Ce grand innocent de Paris ! Vois donc comme il est immense et comme il s'endort doucement ! C'est bête, ces grandes villes ! Il ne se doute guère de l'armée de pioches qui l'attaquera un de ces beaux matins, et certains hôtels de la rue d'Anjou ne reluiraient pas si fort sous le soleil couchant, s'ils savaient qu'ils n'ont plus que trois ou quatre ans à vivre.
[...]
- On a déjà commencé continua-t-il. Mais ce n'est qu'une misère. Regarde là-bas, du côté des Halles, on a coupé Paris en quatre...
Et de sa main étendue, ouverte et tranchante comme un coutelas, il fit signe de séparer la ville en quatre parts.
- Tu veux parler de la rue de Rivoli et du nouveau boulevard que l'on perce , demanda sa femme.
- Oui, la grande croisée de Paris, comme ils disent. Ils dégagent le Louvre et l'Hôtel de Ville. Jeux d'enfants que cela ! C'est bon pour mettre le public en appétit... Quand le premier réseau sera fini alors commencera la grande danse. Le second réseau trouera la ville de toutes parts, pour rattacher les faubourgs au premier réseau. Les tronçons agoniseront dans le plâtre... Tiens, suis un peu ma main. Du boulevard du Temple à la barrière du Trône, une entaille ; puis de ce côté une autre entaille, de la Madeleine à la plaine Monceau ; et une troisième entaille dans ce sens, une autre dans celui-ci, une entaille là, une entaille plus loin, des entailles partout. Paris haché à coups de sabre, les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers et maçons, traversé par d'admirables voies stratégiques qui mettront les forts au cœur des vieux quartiers.
[…]
C'était un ancien projet de Napoléon Ier qu'on songeait à mettre en exécution, pour donner,disaient les gens graves, un débouché normal à des quartiers perdus derrière un dédale de rues étroites, sur les escarpements des coteaux qui limitaient Paris. »
La Curée, p.102-109
          Tout en devenant lui-même l'exécuteur des travaux, il montre comment procéder pour s'enrichir grâce à Haussmann, le spéculateur démontre aussi toute l'étendue des recherches de Zola, celui-ci va s'appuyer sur les lieux réels des travaux, le personnage devenant donc spéculateur réaliste.

Les personnages naturalises de la Curée rendent bien compte des spéculations autour des travaux d'Haussmann, le roman de Zola possède donc le réalisme nécessaire dans ses personnages afin de rendre compte des spéculateurs, Saccard étant l'exemple le plus concret.

 

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